Nouveau modèle de propagation des maladies infectieuses : Mieux prédire les épidémies

L'indice de reproduction R est souvent utilisé comme indicateur pour prédire à quelle vitesse une maladie infectieuse se propagera dans la société. Des chercheurs de l'Empa ont développé un modèle mathématique aussi simple à utiliser que R, mais qui permet des prédictions plus précises. Leur modèle s'appuie sur une "matrice de reproduction" qui tient compte de l'hétérogénéité de la société.

Photo : photonatasavina.gmail.com

"Tes amis ont plus d'amis que toi", écrivait le sociologue américain Scott Feld en 1991. Le "paradoxe de l'amitié" de Feld affirme que les amis d'une personne quelconque ont en moyenne plus d'amis que cette personne elle-même. Ce principe repose sur un calcul de probabilité simple : les personnes bien connectées ont une probabilité plus élevée d'apparaître dans le cercle d'amis des autres. "Si l'on considère le cercle d'amis d'une personne quelconque, il est très probable que l'on trouve dans ce cercle des personnes très bien connectées avec un nombre d'amis supérieur à la moyenne", explique Ivan Lunati, chercheur à l'Empa et directeur du laboratoire "Computational Engineering". Un principe similaire a servi de base à Lunati et à son équipe pour élaborer un nouveau modèle mathématique permettant de prédire plus précisément l'évolution du nombre de cas pendant une épidémie.

La courbe calculée au moyen d'une "matrice de reproduction" (en turquoise) reflète la situation réelle de l'infection (en noir) de manière beaucoup plus précise que les modèles précédents (en jaune et en bleu). Graphique : Empa

Mais quel est le rapport entre les cercles d'amis et les maladies infectieuses ? "Plus une personne a de contacts, plus elle peut contaminer de personnes au cours d'une épidémie", explique Lunati. Or, les modèles épidémiologiques traditionnels partent du principe que chaque personne infectée contamine en moyenne le même nombre d'autres personnes au cours de l'épidémie. Ce nombre est appelé nombre de reproduction (R). Si R est supérieur à un, le nombre de cas augmente de manière exponentielle ; si R est inférieur à un, il diminue.

Bien sûr, ce modèle est simplifié : "Le nombre de cas ne peut pas augmenter indéfiniment, car la population n'est pas infiniment grande", explique Lunati. La croissance exponentielle rapide se produit surtout au début d'une vague, poursuit le chercheur. Avec le temps, il y a de moins en moins de personnes qui peuvent encore être infectées, la valeur R diminue donc et la croissance des nouvelles infections ralentit jusqu'à ce qu'il y ait finalement un pic d'infection et que le nombre de cas commence à nouveau à baisser - une courbe que la plupart des gens connaissent bien après la pandémie du Covid.

Pas une infinité de "superspreaders

Cette courbe d'infection peut être calculée à l'aide de méthodes mathématiques afin de prédire son pic. Si l'on part du principe que chaque personne infectée en infecte autant d'autres, le modèle s'écarte toutefois des vagues d'infection mesurées empiriquement. Il est certes capable de reproduire correctement le début de la vague, mais plus tard, la vague d'infection diminue plus rapidement que prévu, de sorte que le pic est finalement un peu plus bas que dans le calcul du modèle - et ce même si aucune nouvelle mesure de protection n'influence l'évolution de l'infection.

Avec Hossein Gorji, chercheur à l'Empa, et Noé Stauffer, doctorant à l'Empa et à l'EPFL, Lunati s'est posé la question suivante : comment rendre de telles prédictions plus précises ? Sa réponse présente des parallèles avec le paradoxe de l'amitié. "Les personnes qui ont beaucoup de contacts sociaux se contaminent particulièrement vite et en contaminent à leur tour beaucoup d'autres", explique Lunati. Les chercheurs qualifient ces personnes de "hubs" ou de "superspreaders". Au début d'une vague d'infection, ce sont surtout eux qui favorisent l'augmentation du nombre de cas. Le nombre de ces superspreaders dans la société est toutefois relativement faible. Une fois qu'ils sont tous infectés - ce qui arrive relativement vite en raison de leurs nombreux contacts -, la propagation de la maladie ralentit. Les modèles traditionnels, basés sur le nombre de reproduction R, ne tiennent pas compte de ce ralentissement.

Dans une étude récemment publiée dans le "Journal of the Royal Society Interface", Gorji, Stauffer et Lunati proposent donc d'utiliser une "matrice de reproduction" plutôt que le chiffre de la reproduction. Cette matrice indique à quelle vitesse les différents groupes de population sont infectés et tient ainsi compte de l'hétérogénéité de la société. "Nous voulions aller au-delà de l'interprétation simplifiée de l'indice de reproduction R et mieux saisir la complexité des vagues épidémiques réelles", explique Hossein Gorji, "la matrice de reproduction nous permet de prédire plus précisément la propagation de la maladie en tenant compte à la fois de la non-linéarité et de l'hétérogénéité, qui sont souvent négligées dans les modèles traditionnels". Le projet de recherche a été soutenu par le Fonds national suisse (FNS).

Aussi pour d'autres réseaux

Pour définir cette matrice de reproduction, les chercheurs se sont basés sur des données provenant d'autres études. Pour leur modèle, ils ont divisé la société en groupes selon l'âge. En moyenne, ce sont les personnes âgées de 10 à 25 ans qui ont le plus de contacts. "Cette répartition par âge est bien sûr une généralisation, les contacts sociaux réels sont plus complexes", explique Lunati. "En outre, notre modèle suppose que les contaminations comme les super-écarteurs sont répartis de manière uniforme dans tout le pays. Pour les petits pays avec des régions bien connectées et des structures sociales relativement uniformes, cette hypothèse ne pose guère de problème. Mais pour les grands pays, nous devrions aussi tenir compte de la répartition géographique de la population et des contacts entre les régions".

Les chercheurs ont testé leur nouveau modèle avec les données Covid de la Suisse et de l'Écosse, deux pays relativement petits. Ils ont pu montrer que la matrice permettait des prédictions beaucoup plus précises des pics d'infection. "Bien sûr, notre modèle est lui aussi très simplifié", explique Lunati. Mais la force du modèle matriciel réside justement dans sa simplicité : "Il est très facile à appliquer, mais en même temps beaucoup plus réaliste que la seule valeur R".

L'utilité du nouveau modèle ne se limite pas aux épidémies : Il peut être utilisé dans différents systèmes - à chaque fois que des objets se propagent via un réseau. Les chercheurs souhaitent ainsi l'utiliser à l'avenir pour simuler la propagation de points de vue, d'opinions et de comportements dans une société - par exemple lorsqu'il s'agit de l'adoption de nouvelles technologies ou d'un mode de vie durable.

Source : Empa

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